Expose sur Václav Havel

L'Histoire semble amoureuse de certaines destinées. On dirait qu'elle les prend en
charge, qu'elle les mene jusqu'a un objectif connu d'elle seule, qu'elle les guide jusqu'a leur
épanouissement : un sommet qu'elle a prévu depuis longtemps. Peut-etre se reconnaît-elle
mieux dans certains visages que dans d'autres. Une chose est certaine, au moins : elle a un air
de famille avec Vaclav Havel. Un homme modeste, qui débute dans la vie comme n'importe
quel homme. Qui apprend, se cultive, lutte pour sa propre élévation. Jusqu'au jour ou cette
derniere passe par l'affranchissement de toute une nation, la sienne. Alors, le passant Havel
devient l'auteur Havel, le contestataire calme, l'embleme, l'inflexible, l'espoir Havel, vers qui
tous les regards se tournent comme pour trouver une réponse. Vient la libération de la
Tchécoslovaquie. Celui qui était apprenti-laborantin en 1951 est aujourd'hui le Président Havel.
L'Histoire est visiblement ravie de cet éleve.

Avant de suivre sa vie, laissons-le d'abord parler de lui-meme : « Moi, je suis un
écrivain qui n'a jamais su rester en place et qui s'est toujours engagé comme un citoyen. Je suis
un homme qui a toujours placé les intérets de la société avant ses intérets personnels. »

Vaclav Havel est né le 5 octobre 1936 a Prague. Il est fils et petit-fils d'entrepreneurs
qui construisirent tout un nouveau quartier de Prague. Enfant d'une famille bourgeoise, élevé a
la campagne, il souffre tres tôt de la barriere sociale qui le sépare des autres. A l'école, il se
sent exclu, il était un « petit gros » et pour cela, était la risée de tous ses camarades. Cette
expérience enfantine s'est inscrite tres profondément en lui : « Ce sentiment d'exclusion, cette
position délicate au milieu de la collectivité, qui se sont encore accentués apres la victoire du
régime communiste – lorsque je suis devenu une cible privilégiée de ce qu'on appelle « la lutte
des classes » et qui a abouti a une nouvelle expérience d'isolement, ont influencé sur ma vision
du monde et mes pieces de théâtre. Mon regard est un regard d'en bas, un regard de l'extérieur,
un regard formé par l'expérience de l'absurde… »

En 1948, les biens de sa famille sont nationalisés. Son pere se retrouve employé de
l'entreprise de restauration que son propre pere avait crée et sa mere, vendeuse de cartes
postales et guide touristique. A quinze ans, il doit interrompre ses études du fait de ses origines
et doit travailler. Devenu ouvrier, il a désormais le droit de s'inscrire aux cours du soir. Il en
profite donc pour passer son bac. Il mene une vie pleine d'activités – cours de danse, lectures
approfondies, contacts avec les écrivains et écriture de ses premiers textes. Il fonde un groupe
de jeunes, tous nés en 1936, qui pendant 2 ans organisent des colloques et publient une revue
dactylographiée. Il fréquente les cafés ou se retrouvent poetes et écrivains.

En 1956, lorsqu'il publie son essai sur Hrabal dans la revue Samizdat K, Václav Havel a
tout juste vingt ans, il suit des cours d'économie du transport. Mais ce tres jeune homme –
peut-etre d'autant plus qui ne lui est pas permis de faire les études de cinéma ou de théâtre qui
le tentent – tient a démontrer son sérieux de critique littéraire. Il ne faut pas compter sur lui
pour donner de ces premieres nouvelles publiées par Hrabal un compte-rendu aguichant,
impressionniste. Quitte a adopter un ton docte, voire pédant, Havel s'applique a cerner le type
d'écrivain qu'incarne Hrabal, cet auteur débutant qui pourtant pourrait presque etre son pere.
Dans sa typologie, il le classe – et c'est un aperçu qui sera confirmé par toute l'ouvre a venir
de Hrabal – parmi les écrivains qui ne vivent pas pour écrire, mais qui écrivent parce qu'ils
vivent. Il le sent passionné par l'infinie complexité de la vie des gens ordinaires, par le va-et-
vient constant entre situations tragiques et grotesques.

Par-dela son analyse de Hrabal, Havel nous en apprend long sur lui-meme. Ne serait-ce
qu'en choisissant pour ses débuts d'essayiste littéraire un écrivain a peine connu, marginal,
argotique, a mille lieues des schémas convenus du milieu des années cinquante. Implicitement,
c'est déja une prise de position politique, discrete mais ferme parfaitement intelligible. Dans les
nouvelles de Hrabal avec leur technique de constat, de juxtaposition d'événements d'une vérité
crue, Havel voit un moyen de prise de conscience pour le lecteur qui ne doit pas se laisser
dicter des interprétations officielles, de deuxieme main, mais se débrouiller avec les
informations qui lui sont fournies. Donc accéder a la responsabilité individuelle.

En 1957, il doit partir pour deux ans au service militaire. Ce fut également l'année ou il
publia son premier ouvrage littéraire. A sa sortie il travaille comme machiniste au théâtre ABC
de Prague, ou il rencontre sa future femme : Olga. Il découvre sa passion pour l'art dramatique.
Le théâtre est un lieu ou se manifestent le plus vivement les questions, les espoirs et les doutes
d'une société. Il écrit alors de petites pieces et publie des critiques théâtrales.

En 1960, il entre au théâtre de la Balustrade ou, tout en suivant les cours de la Haute
École du spectacle, fait plusieurs métiers avant de devenir " dramaturge ".
C'est pendant ces années " heureuses " de la " libéralisation ", dans l'atmosphere d'un
petit théâtre d'avant-garde, qu'il fait jouer ses deux premiers spectacles, écrits en collaboration,
puis ses propres pieces :
" La Fete en plein air " (1963) et " Le Rapport dont vous etes l'objet " (1965),
" Mémorandum "(1965) suivi de " Plus moyen de se concentrer " (1967).
Il introduit sur la scene le souffle libérateur de sa verve satirique, en démontant et
démystifiant le charabia idéologique qui occulte la réalité humaine et sociale. « La conjoncture,
apparemment désavantageuse, d'une naissance bourgeoise au sein d'une société communiste
m'a fait voir d'emblée le monde pour ainsi dire " d'en bas ", c'est-a-dire tel qu'il est, ce qui
m'a prémuni contre les illusions et les mythes ».

Au milieu des années soixante, il publie « Anticodes »,un recueil de typo grammes,
c'est-a-dire des poemes graphiques pleins de fantaisie et d'humour. Václav Havel complete
alors ses études a la faculté d'Art dramatique ou il est enfin accepté.
Dans le meme temps, il entre au comité de rédaction de TVAR, un mensuel consacré a la
jeune littérature. Il va se battre pendant quatre ans pour défendre cette revue marginale au sein
de la tres officielle Union des écrivains. C'est le début de son activité culturelle et politique - "
mon université de la vie politique", dira-t-il plus tard – qui l'entraînera sur les chemins de la
dissidence.

Le Printemps de Prague interrompu par les chars soviétiques et la " normalisation "
font de Václav Havel un auteur " interdit ", un ouvrier auxiliaire, que l'on condamne pour ses
activités contre l'État (1979-1983).
Sa participation au Printemps sera limitée a deux actions. D'un part, il signe une
proclamation demandant l'établissement d'un cercle indépendant d'écrivains n'appartenant pas
au Parti communiste et d'autre part, il publie le 4 avril 1968 un article – « Au sujet de
l'opposition » - dans lequel il demande que soit rendu possible la création d'un parti
démocratique fondé sur la tradition humaniste tchécoslovaque.

Le 11.4.68, c'est la premiere de sa nouvelle piece :" Difficulté accrue de se concentrer ".
En mai-juin, Havel passe six semaines aux Etats-Unis. Il reçoit le prix Obie pour la premiere de
sa piece Mémorandum a New York. Durant l'été, il quitte le théâtre sur la Balustrade, apres
huit années de vie littéraire et artistique.

Pétitionnaire des 1969, il signe une lettre ouverte, le " Manifeste en dix points "
condamnant la politique de normalisation. Les écrits de Havel sont interdits. En 1974, il se
retrouve ainsi employé dans une brasserie de Boheme.

Le 8.4.1975 marque une étape importante dans la vie et la pensée de Vaclav Havel. Il
envoie une lettre a Gustav Husak, le secrétaire général du Parti communiste - " Lettre ouverte
au président Husák ". Cette lettre consiste en une réflexion pratique sur l'état de la société
Tchécoslovaque au moment de la politique de « normalisation ». Elle est historiquement tres
importante et circulera clandestinement en Tchécoslovaquie et sera meme diffusée a l'étranger.

Malgré l'interdiction de publier, il continue d'écrire et publie deux petites pieces d'un
acte : " Audience " et " Vernissage ", ou il met en scene Vaneck, double du dissident Havel.

En 1976, il publie " Hôtel des Cimes ", une piece dans laquelle les dialogues sont
constitués de clichés ou de phrases interchangeables que les personnages répetent a l'infini.
Toutes ces questions rebondissent sans trouver réponse. Sans moralisme et sans discours mais
en montrant combien ce monde est déja en ruines, l'auteur incite le spectateur a devenir acteur
pour lutter contre les mots vides qui ne parlent plus et contre les ténebres qui éteignent la vie.

Dans les premiers jours de 1977, un texte signé par 243 personnes est porté aux principaux
centres de pouvoir. Cette déclaration connue sous le nom de « Charte 77 » deviendra un
mouvement qui pendant 13 ans va etre le symbole de la résistance au pouvoir totalitaire. Ses
trois premiers porte-parole sont : Jan Patočka, un philosophe, Jiří Hájek, ancien ministre des
Affaires Etrangeres au moment du Printemps de Prague et Vaclav Havel. Sans chercher a
esquisser le bilan du mouvement de la Charte 77, nous pouvons retenir trois points
caractéristiques l'esprit et du style de Vaclav Havel, trois points qui n'ont rien perdu de leur
actualité dans nos sociétés démocratiques :
1. Le primat de l'éthique
2. La renaissance d'un espace publique
3. Le temps retrouvé

Pour Vaclav Havel, la Charte est une action de fondation du politique, comme sa part
cachée, et en cela son travail ne peut jamais etre achevé. « Les objectifs de la politique sont
finis, les buts de la Charte infinis » écrit-il dix ans apres sa fondation.

Pour l'heure, Vaclav Havel se retrouve donc en prison pour la premiere fois. Dans sa
cellule, il se culpabilise d'avoir été un des initiateurs de la Charte en se croyant seul
responsable pour les autres signataires des ennuis qu'ils ont avec la police. Il supporte mal
cette période et en reste marqué tres longtemps. Il en reparle dans deux longues lettres a Olga
écrites en juillet 1982, lors de son deuxieme séjour en prison. Il dit combien le sentiment de
honte l'a poursuivi mais aussi combien, au creux de l'échec et de la défaillance acceptée, il a
compris plus clairement « la responsabilité en tant que responsabilité de soi-meme » et s'est
ouvert d'une façon nouvelle au mystere de l'humain.

A sa sortie de prison, il est surpris par l'écho positif que rencontre la Charte 77, par les
initiatives qu'elle provoque et par la fraternité qui unit les signataires. Il se lance alors dans
l'action politique.

Il est le cofondateur du Comité de défense des personnes injustement condamnées — ce qui
est la cause de son proces. Il est toujours harcelé par la police : interrogatoire, surveillance,
cambriolages….

En octobre 1978, il écrit un de ses essais les plus importants : "Le Pouvoir des sans-
pouvoir " (1978, trad. franç.) ou sont rassemblées ses réflexions politiques. Avant d'etre arreté
le 29.5.1979 il publie une nouvelle piece " Pétition " (1979). Le ministere des Affaires
Etrangeres lui propose alors de passer un séjour d'un an aux Etats-Unis comme conseiller
littéraire d'un théâtre de Broadway mais il refuse de quitter son pays.

En 1985, il écrit une piece intitulée " Tentation ". Elle révele l'ambiguité des discours
quand ils ne s'attachent qu'a séduire, et le jeu de miroirs a l'infini du mensonge comme résultat
de tout pacte avec le diable.

Le credo de Havel pourrait se résumer dans cette formule : ne pas céder sur la vérité –
meme et surtout dans les petites choses qui paraissent insignifiantes – en ne perdant ni patience,
ni humour. Cette lutte pour ce qui paraît secondaire, il l'a souvent menée, notamment a
l'époque de l'Union des écrivains ou des technocrates étaient prets a sacrifier un jeune auteur
ou une revue pour la réalisation d'objectifs « plus importants ». Son projet est de faire de la
« politique apolitique », de partir de l'existence humaine et de sa place dans le monde. Au cour
de sa vie, il y a pour Vaclav Havel la longue expérience « kafkaienne » et douloureuse des
camps et de la prison. « Pendant des années, j'ai du vivre dans une atmosphere visant a briser
systématiquement les caracteres ; dans une atmosphere de peur, de délation, d'humiliations et
d'insultes. »
Son espace de liberté sera plus restreint : la seule lettre hebdomadaire autorisée, quatre
feuillets adressés a sa femme Olga, se melent de conseils pratiques, de demandes pour les
prochains colis et des méditations sur l'identité humaine nourries par des exemples de la vie
quotidienne et par les extraits de textes philosophiques. Son emprisonnement a un
retentissement international et mobilise entre autres les acteurs européens. De plus, le dissident-
dramaturge reçoit aussi de nombreuses récompenses : doctorats « honoris causa » des
universités de Toronto et de Toulouse (1982), Prix Jan Palach – puis plus tard, Prix Erasme
(1986) et Prix de la Paix des libraires allemands (1989), Prix Olof Palme (1989) …. En janvier
1983, Vaclav Havel est atteint d'une grave pneumonie. Il est transféré dans une prison-hôpital.
A sa sortie, il s'engage a nouveau avec la Charte 77 et publie de nombreux essais, des pieces de
théâtre : " Tant pis " (1983), piece courte sur l'accueil d'un nouveau dans une cellule de prison
qui devient l'empecheur de tourner en rond que les autres veulent mettre au pas. " Largo
Desolato " (1984), dans un univers post carcéral, met en scene un homme insoumis en plein
désarroi. Il s'agit de l'une de ses pieces les plus fortes avec " Tentation " (1985), une variation
sur le theme de Faust. " Assainissement " (1987), une parodie de la perestroika, sera sa derniere
piece avant que la vie politique ne lui interdise d'écrire autre chose que des discours et des
essais.
L'année 1989 commence avec un premier rassemblement le 15 janvier sur la place centrale
de Prague. Environ cinq mille personnes sont présentes et célebrent le vingtieme anniversaire
de la mort de Jan Palach. Cet étudiant s'était immolé par le feu pour protester contre
l'écrasement du « Printemps de Prague » de 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie et contre
la politique de normalisation qui avait suivi. Cette manifestation a accompli son geste de
protestation désespérée et est durement réprimée par la police qui procede au cours de la
semaine a quelque huit cent arrestations. Vaclav Havel se retrouve en prison, comme les autres,
sous le motif « d'incitation au désordre et d'obstruction a l'ordre public ». Lors de son proces,
il déclare a ses juges : « L'intervention tout a fait inutile de la police contre ceux qui voulaient,
en silence et sans publicité, déposer des couronnes pres de la statue a réussi en un instant a
transformer un groupe de passants en une foule de protestataires. …J'espere sincerement que
les pouvoirs publics cesseront d'agir comme ce laideron qui brisait le miroir pour punir son
image. » Le verdict est sévere : neuf mois de prison. Mais cela va agir a l'inverse de ce
qu'espérait le pouvoir. Des pétitions commencent a circuler et l'indignation est grande a
l'étranger ( Le Pen Club de France lui décerne son Prix de la liberté). Sa peine est réduite a huit
mois et Vaclav Havel sera libéré a la mi-mai apres avoir purgé la moitié de sa peine. A sa sortie
de prison, il déclare qu'il souhaite « continuer a dire la vérité, sans se préoccuper des risques
d'etre a nouveau arreté ou, au contraire, traité en héros national. » En juin, il est a l'origine
d'une pétition pour les libertés publics, intitulée Quatre phrases. Le 14 juillet, il se rend a
l'ambassade de France pour célébrer le Bicentenaire de la Révolution française. Le 21 aout,
jour de l'entrée des troupes du Pacte de Varsovie qui mirent fin au Printemps de Prague, la
capitale est tres surveillée par la police. Vaclav Havel est a nouveau placé en garde a vue. De
petites manifestations commencent a avoir lieu dans Prague. La contestation s'étend, aidée par
la liberté venue de Berlin et l'ouverture du Mur le 9 novembre. Le 17 novembre, une semaine
apres la chute du Mur de Berlin, plus de cinquante mille personnes, dont bon nombre
d'étudiants, organisent la plus importante manifestation hostile au régime communiste depuis
vingt ans. Ce rassemblement rend hommage a un étudiant tcheque assassiné par les nazis
cinquante ans auparavant. Au fur et a mesure que la manifestation avance et grossit, elle se fait
de plus en plus politique. Arrivée en centre ville, la police anti-émeutes charge avec une grande
violence une foule pacifique. Cette répression brutale va déclencher la « révolution de
velours ». Plus de cent mille étudiants se mettent en greve, rejoint par les comédiens. Une greve
générale est prévue pour le 27 novembre. Désormais les manifestations sont quotidiennes. Tout
va tres vite. A l'initiative de Vaclav Havel, le Forum Civique, qui regroupe les mouvements
d'opposition, est créé le 19 novembre. Il permet qu'une force représentative de l'ensemble des
opposants négocie et dialogue avec le pouvoir communiste. Dans la rue, les gens se parlent a
cour ouvert, enfin. La foule ovationne longuement Vaclav Havel et Alexandre Dubček,
responsable du Parti communiste au moment de la libéralisation du Printemps de Prague, qui
devait etre par la suite exclu du Parti et relégué dans un travail de garde forestier. Le 24
novembre, le bureau politique du Parti communiste démissionne et Karel Urbanek remplace
Miloš Jakeš. Désormais, apres que le peuple ait vaincu sa peur et montré sa détermination, c'est
le temps de la négociation. Le 10 décembre, au cours d'un meeting, Vaclav Havel sera proposé
au poste de président de la République. Il avait déclaré quelques jours auparavant a des
journalistes : « J'ai toujours dit que j'étais écrivain de profession, sans ambition politique, mais
j'ai toujours placé l'intéret général au-dessus de mon intéret personnel. Si Dieu le veut, et si la
situation évolue de telle maniere que le seul service que je puisse rendre a mon pays est celui-
ci, alors, bien sur, je le ferai. »
A la suite de la " révolution de velours ", Václav Havel est donc élu président de la
République tchécoslovaque en décembre 1989. « Dans les bureaux du Château de Prague, je
n'ai trouvé aucune pendule. Je ressens en cela quelque chose de symbolique : pendant de
longues années, on n'a pas eu besoin d'y regarder l'heure parce que, pendant longtemps, le
temps s'était arreté. L'histoire s'était interrompue. ». Cette remarque commence son premier
discours devant le Parlement en janvier 1990, trois semaines apres son élection.
L'enthousiasme de la révolution de velours est encore largement partagé. Son exemplarité
laisse espérer un redressement rapide du pays. Lors de son premier mandat il a établi de
nouvelles relations avec plusieurs chefs politiques partout a travers le monde. Il aide aussi les
fondations ayant pour but de modifier la politique étrangere de la Tchécoslovaquie. Il reçoit le
prix Simon Bolivar en 1990, a Paris, a travers cet éloge: "Havel, ni anticommuniste, ni ami du
capitalisme, il se bat pour la liberté dans le sens le plus simple et le plus évident du terme. Il est
contre tout abus de pouvoir". Cependant, tres vite, le temps s'est accéléré et il s'est passé de
nombreux événements au cour de ce début des années 90. Apres la victoire législative du
Forum civique et de sa réplique Slovaque, le Public Contre la Violence, Havel est réélu, le
5.7.1990 Président pour une période de deux ans. Critiqué peu de temps apres pour le nombre
de ses collaborateurs et pour leur pouvoir de l'ombre, il doit réduire son cabinet en aout 1990.
Mais des difficultés plus sérieuses et plus nombreuses que prévu apparaissent bientôt. Le pays
doit affronter quatre grands problemes : le passage vers l'économie de marché – un sujet qui ne
le passionne pas beaucoup, la recherche d'un nouveau statut international, la mémoire des 40
années de totalitarisme et la question du lien entre les Tcheques et les Slovaques – question
qu'il considere comme sa priorité absolue. Votée par le Parlement Slovaque en juillet 1992, la
partition du pays a lieu le 1.janvier 1993. Vaclav Havel comprend les aspirations des Slovaques
et l'explique dans son premier livre publié depuis qu'il est président : " Méditations d'été "
(1991).
Au cours du premier semestre 1992, il se bat pour qu'un référendum sur cette question soit
organisé. Mais il est déja trop tard. Il démissionne de son poste moins d'une heure apres le vote
pour un Etat indépendant par les députés Slovaques. Ainsi, la Tchécoslovaquie vit ses derniers
mois sans président. La partition est un échec personnel pour le président Havel. Apres une
longue hésitation et un passage a vide, il décide donc d'etre a nouveau candidat. Il est élu
premier Président de la nouvelle République Tcheque le 26.1.1993. Ces années de pouvoir
n'ont pas changé sa conception de la politique comme souci d'autrui et son refus d'avancer des
solutions toutes faites. Il n'a rien perdu de ce mélange d'utopie et de référence au quotidien, de
son souci de suivre la « vie dans la vérité ». En tant que président, il résume ce projet en trois
points :
1. « Ne pas cesser de dire certaines choses a voix haute…. »
2. « Créer dans le milieu de la politique une ambiance agréable, une ambiance de générosité, de
tolérance, de transparence, d'une sociabilité humaine élémentaire et d'une confiance
mutuelle…
3.« J'agis directement. C'est le domaine de mes décisions politiques concretes. La aussi je peux
et je dois utiliser mes conceptions politiques, mon désir de justice, de politesse, de culture, ma
vision de ce que j'appellerais – pour les besoins du moment – un Etat moral . »
Il envisage donc son rôle comme garant d'une politique et se situe au-dessus des partis,
tout en prenant aussi sa part de responsabilité dans les décisions. Son style est un mélange de
réel sens politique et de souci de la vérité. En 1996 sa femme Olga meurt d'un cancer. Un an
plus tard il se marie avec une actrice tcheque Dagmar Veskrnova. En 1998 il est a nouveau
réélu Président par les deux chambres du Parlement de la République Tcheque.
Le dernier mot de la vie de Vaclav Havel n'est pas encore écrit, et il continue toujours a
accomplir son rôle de Président de la République Tcheque.
Mais pour conclure sur ce grand homme et cette grande destiné, laissons lui la parole sur sa
réflexion de l'histoire et de son rôle :
« Je crois qu'il faut apprendre a attendre comme on apprend a créer. Il faut semer
patiemment les graines, arroser avec assiduité la terre ou elles sont semées et accorder aux
plantes le temps qui leur est propre. On ne peut duper une plante, pas plus qu'on ne peut duper
l'Histoire. Mais on peut l'arroser. Patiemment, tous les jours. Avec compréhension, avec
humilité, certes, mais aussi avec amour. »